La sexualité étant indissociable de la notion de désir, la routine pouvait effectivement nous guetter. Aussi, nos sociétés modernes ont-elles fait voler en éclats nos prudes certitudes en la matière. Mais sommes-nous devenus plus libres pour autant ?
Et pourtant, nous réduisons à un masque cette fenêtre du cœur qui traduit en quelque sorte notre vérité. La persona, selon Carl Gustav Jung, définit le masque de l’acteur que tout individu arbore pour se protéger ou menacer. Ce masque que nous collons sur notre visage, ou imaginons porter, permet de nous adapter aux différentes formes de relation sociale et de prendre la place de maints acteurs fantasmatiques. Tout un jeu de rôles et d’intentions se déroule derrière cet écran de l’être pour paraître différent, cacher ses peurs, séduire, se construire une forteresse.
Le maquillage : un « je » de dupe ?
Dans cette ambivalence, dissimulée sous les traits du visage, l’ange et la bête cohabitent en un même refuge sous les fards et le Rimmel dont l’origine se perd dans l’histoire du regard. Le regard sur la beauté commence par la conscience de soi et l’idéal de beauté n’est devenu que le reflet d’une culture, de la relation entre les hommes et les femmes avec la nature, ses mythes et ses fantasmes. Les rituels de la tradition primitive sont nés de l’imaginaire humain pour séduire les dieux, diviniser le corps. Mais chaque époque redéfinit ses rituels et ses canons de la beauté car un idéal n’a rien de durable. De la stéatopygie des Vénus aurignaciennes et callipyges de Néron aux Grâces de Carpeaux, en passant par les Nymphes de Poussin, les Baigneuses de Renoir et les Pin-up d’Aslan, la beauté, qui n’est qu’un jugement subjectif, s’est métamorphosée au cours des complexions de la nature de l’homme et de la femme dans la société. La culture du
paraître s’épuise à s’apparenter aux vocables et aux images qui la façonnent, influencent le pouvoir du corps idéal sur le corps biologique, comme si l’humaine apparence n’avait jamais satisfait l’homme, victime de la trop cruelle angoisse du temps. Besoin alors de sublimer, de remodeler les formes, dans l’illusion de refaçonner le temps. Le maquillage et sa palette de couleurs et de fards transforment les traits du visage et lui prêtent des sentiments autres que ceux que l’âme peut ressentir en ce même instant. Il peut aussi déclencher des impressions psychologiques sidérantes mais reste plutôt utilisé de nos jours à des fins séductrices et commerciales. En désirant devenir autre, la métamorphose s’opère sur le visage, renonçant à son identité véritable le temps d’une rencontre, d’un dîner, d’un sourire. À trop forcer la différence entre le
je et le
moi, on risque de se perdre dans une image qui n’est plus la sienne. On se souvient de la chanson de Renaud où il chantait
Je suis une bande à moi tout seul... Le maquillage offre-t-il à la femme une chance de plus dans une société qui se prête à ce jeu ou gomme-t-il l’impression d’une image imparfaite ? S’envisager ou se
re-visager ? La réponse n’appartient qu’à celui ou celle qui s’interroge devant l’image réfléchie que lui renvoie son miroir.
Défauts, je vous aime !
Nous devons savoir nous-mêmes ce qui est bon pour nous, pour notre être prisonnier de son masque. Le maquillage ne dure que le temps d’une représentation, le temps éphémère d’un regard, d’un battement de cils, de quelques mots pour échanger un message, langage muet du cœur inconscient. Séduire, c’est vouloir convaincre l’autre qu’on est capable d’entrer dans sa vie, de remplir telle fonction. C’est aussi le seul argument qui reste à diplôme égal pour vendre ses compétences et la société d’aujourd’hui utilise volontiers ce processus pour départager les postulants : sachez séduire ! La beauté, grâce ou vertu, don de la nature : quelle femme n’a rêvé de la conquérir en estompant ses défauts ? Embellir son visage est un art dont la gent féminine semble être douée tout naturellement du geste séculaire qui la rend encore plus féminine, plus séduisante. Jean Cocteau d’écrire qu
’un défaut de l’âme ne peut se corriger sur un visage mais un défaut du visage, si on le corrige, peut corriger une âme. Peut-on le croire réellement ? Corriger un défaut du visage ne donnera toujours que l’illusion de corriger une âme. Ce qui est vital pour l’âme et le bien-être, c’est de sublimer le défaut.
Je me regarde par rapport à ce qui me gêne dans mon visage. Je ne peux donc aimer ce défaut que s’il devient mon identité. Qu’est-ce qu’une façade sans la structure qui la soutient ? Si on parvient à corriger le défaut de l’âme, aucune imperfection ne saura briser son image. Si Madame de Maintenon a dit qu’
une femme sans beauté ne connaît que la moitié de sa vie, quelle chance alors qu’il reste l’autre moitié pour se réaliser!
De la séduction au désir
Ce visage, qui nous dévisage et nous dérange, ne peut rester sans expressions car il nous trahit aussi. En ce lieu où la parole ment, le visage dit vrai. Une bouche, des yeux, un nez, autant de moyens de communication entre le soi intérieur et le moi extérieur qu’il convient de souligner, notamment en accentuant les traits par les soins et le maquillage. Le discours des yeux est le seul langage universel compris de tous. Darwin déclara qu’
un même état d’âme est exprimé dans tous les pays avec une remarquable uniformité. Notre vie quotidienne est aujourd’hui faite d’images de beauté et de séduction auxquelles nous aspirons à nous identifier. La publicité occupe une partie de notre espace de vie et sait utiliser les différentes techniques pour réveiller en nous l’image d’un Narcisse en détresse, en mal d’amour. Chacun pratique l’art de la séduction avec le talent qui lui échoit. L’impressionnante gamme de cosmétiques peut satisfaire les plus difficiles d’entre les femmes et toutes les circonstances se prêtent à ce jeu avec ses leurres idoines. La beauté exige aussi du corporel et de la santé. On peut paraphraser sur les mots qui magnifient la beauté mais il ne peut y avoir de santé sans hygiène et de beauté sans la santé. L’ambition esthétique est proportionnelle à l’amour qu’on porte à sa propre image. Apprenez donc à vous aimer ! La confiance en soi est à ce prix. Exprimez du charme, de la gaîté, de la séduction, du sérieux. Il n’y aura pas d’après si vous ne dégagez pas de confiance en vous, de l’assurance. La séduction peut alors vous ouvrir le cœur de l’être désiré. Sachez faire naître le désir chez l’autre, le désir de vous séduire à son tour.
Joël Roux